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Les mots d'Hélène

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2 août 2011

Renaissance

Texte inspiré par la petite église de Ménard la Barrotière - De la pure fiction !

 

Il est arrivé dans le froid d’un petit matin. Le sentier craquait sous ses pas lourds et le haut bourdon qu’il agrippait de ses doigts gourds s’enfonçait dans la glaise. Ainsi est-il arrivé dans le froid d’un petit matin.

 

Au métayer du Grand Logis qui, si tôt, d’un balai de genêt nettoyait les écuries, il a demandé du pain. N’a pas voulu entrer dans la salle où un feu ardent flambait déjà dans l’âtre, pour manger le quignon graissé de lard qu’on lui offrait. Au métayer du Grand Logis il a dit bénédiction et poursuivi son chemin.

 

Il a évité le château. Il a traversé le village sans dire mot. Tous l’ont observé, inquiets, mais ni le maréchal-ferrant qui fait jaillir des étincelles aux sabots des chevaux, ni le boulanger qui retire de lourdes miches craquelantes de son four, ni même le chapelain revenant de sonner matines, non, personne ne l’a reconnu.

 

Ses pas l’ont mené à l’église. Il a poussé la lourde porte. Posé son havresac, ôté ses godillots, détaché la grossière cape brune de ses épaules, et entassé soigneusement tout cela sur le dernier banc. Puis il s’est agenouillé dans la nef, juste sous l’étoile de pierre dans la voûte de granit, ne sachant même pas si Dieu lui-même l’avait reconnu.

 

Dans son pourpoint violet, usé, il a belle allure pourtant ce vagabond, agenouillé dans la nef, il s’est abîmé dans une profonde méditation. On est en carême. La croix du Christ de Douleur est drapée de violet, d’un drap plus riche que son pourpoint usé. Aujourd’hui c’est lui le pauvre, lui arrivé dans le froid d’un petit matin.

 

Il a rendu grâces pour son retour. Dans son esprit enfiévré, il entend encore les cavalcades des chevaux et le bruit métallique des armures, il voit les épées ensanglantées, les agonisants hurlant leurs dernières douleurs, et il se revoit, lui,  près de Messire Louis, le neuvième du nom, frappant à grands coups les infidèles, avec le courage d’un lion. Mais maintenant il rend grâces pour son retour.

 

Qui est ce vagabond ? se demande-t-on de porte en porte. Qui est cet inconnu ? Nul n’a osé après lui pousser la porte de l’église. Et nul n’a reconnu celui qui les regardait de si haut autrefois, se pavanant comme les paons de sa volière.

 

La vieille Delphine a bien murmuré « Il ressemble au Seigneur Barotteau parti en croisade il y a bien des lunes». Mais la vieille Delphine radote et personne ne l’écoute plus depuis bien longtemps. Une seule question les préoccupe. Mais qui est donc ce vagabond ?

 

Oui, la vieille Delphine radote, car cet homme-là, n’est plus le chevalier parti si fier à la croisade sur son destrier caracolant. Car cet homme-là, il vient juste de renaître.

 

 

 

 

     

 

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3 mai 2010

un tout p'tit poème

Dans mes rêves il y a

         des petits ânes gris qui vont au Paradis

         des macarons gourmands qu’on croque à belles dents

Dans mes rêves il y a

         des enfances de miel, des couchers de soleil

         de jolis bateaux blancs dansant sur l’Océan

Dans mes rêves il y a

         Des bouchers, des facteurs, mais pas de percepteur

         Des anges sur le toit et puis il y a Toi !

 

14 janvier 2010

Le poème du jour

vent_d_hiver

Rentrons à la maison et fermons bien la porte

Le vent d’hiver ma mie est un fieffé coquin

Qui de ses doigts de neige en brillante cohorte,

Nous vole toute vie comme un vil malandrin.

Il avance, aux épaules une cape linceul,

De nids abandonnés sous son manteau de neige

Il avance feutré courbé comme un aïeul

Et le froid et la mort sont funèbre cortège

Rentrons à la maison et fermons bien la porte

Le vent d’hiver ma mie est un fieffé coquin

N’écoute pas la brise qui au-dehors sanglote

Mendiante échevelée au regard aquilin

Il vole toute vie comme un vil malandrin

Le vent d’hiver ma mie qui hurle dans la plaine

De ses longs doigts crochus, il s’accroche aux sapins,

Noirs clochers dans la nuit comme mâts de misaine

Viens près de moi ma mie et faisons flamber l’âtre

En un feu de sarments crépitant des arpèges

Oui nous la ferons fuir cette folle marâtre

Qu’est la bise en hiver hurlant ses sortilèges

Rentrons à la maison et fermons bien la porte

Sur la neige au-dehors les empreintes du lièvre

Serrés l’un contre l’autre au feu qui réconforte

Nous boirons un vin chaud d’épices et de genièvre

Je t’aimerai pendant toute une nuit entière

J’ôterai ton bonnet, tes gants et tes rubans

Sur ta peau dansera des flammes la lumière

Et tes yeux brilleront comme ceux d’un enfant.

                                                                        Hélène

11 novembre 2008

Les concours

Dans cette catégorie, les prix obtenus aux concours suivants :

- « Dix mots m’ont dit », concours annuel  organisé par l’association « Les amis du Petit Lyré » avec les dix mots de l’année (trois fois un prix)

- « La plus belle Lettre d’Amour », concours annuel organisé par l’Office du Tourisme de Clisson à l’occasion de la Saint-Valentin (trois fois également)

- Concours de Poésie, organisé par « La Taverne aux Poètes » de Trélazé (un prix… dont la remise manquait singulièrement de chaleur, comparée aux autres).

10 novembre 2008

Sonate en la majeur ou Musique dans la nuit


beethoven        PETITE  MUSIQUE DANS LA NUIT

          OU  SONATE EN LA MAJEUR             partition_beethoven


Il paraissait plus que son âge, son abondante chevelure poivre et sel, léonine, encadrant en longues mèches fougueuses un visage aux mâchoires carrées. Il avait éteint sa chandelle fort tard dans la nuit et n'avait pu trouver qu'à l'aube un sommeil court et agité. Ne supportant plus de se retourner entre les draps, il s'était levé et se tenait debout, le front appuyé aux carreaux froids de sa fenêtre, un peignoir défraîchi jeté sur ses épaules. Le jour se levait, déchirant l'horizon en pâles lambeaux.

La veille, après l'opéra, il était entré sans souper, se contentant d'un frugal en-cas de hareng séché et d'un morceau de pain noir avant de se remettre au travail.

Son "Leonore" n'avait pas reçu l'accueil escompté. Désormais il ne percevait plus pendant ces soirées qu'un vague brouhaha qui, lorsqu'il ne se concentrait pas sur sa musique, le plongeait dans une sorte d'engourdissement, de torpeur, qui gagnait peu à peu tout son cœur et qui se propageait très vite à son esprit, lui ôtant jusqu'au goût de la vie. 

Ce n'était plus un secret, depuis la servante que les subsides de Monsieur le Prince Lobkowitz lui permettaient de faire venir deux fois la semaine dans son logis de la Bonngasse, jusqu'aux riches commerçants de la Königstrasse, tous savaient que Monsieur Ludwig von Beethoven était en train de devenir sourd. Il s'était confié à de rares amis, écrivant "Sache que la plus noble partie de moi-même, mon ouïe, s'est beaucoup affaiblie…" "Quelle triste vie est maintenant la mienne ! Eviter tout ce qui m'est aimé et à quoi je tiens"

Il croyait encore donner le change, évitait donc toute occasion de contact avec ses contemporains et commençait à passer pour un sauvage. Invariablement depuis des mois, chaque matin, il allait lire son journal au Café Berstendt en buvant une tasse de café troublée d'un nuage de crème. Il appréciait la taciturne Hannah qui le servait sans un mot, parfois sans même un sourire. En revanche, il fuyait ostensiblement toute personne désireuse de l'approcher, quitte à passer pour un malotru. Tout était préférable à l'aveu public de son infirmité.

Il avait toujours dans sa poche un carnet sur lequel, selon son inspiration, il jetait les notes qui lui passaient par l'esprit. Ce n'était pas à proprement parler un carnet de musique, aucune portée, aucune ligne n'y était tracée. Personne n'aurait pu déchiffrer les signes que, fiévreusement, il y inscrivait en n'importe quelle occasion.

Aujourd'hui, il travaillerait à sa sonate pour piano. Contrairement à son habitude, il avait repris sa composition, toujours insatisfait, doutant de lui-même. Il craignait que ses doigts désormais guidés par sa seule musique intérieure, se perdent sur les portées qui dansaient devant ses yeux, fatigués de les tant fixer. Il devait retrouver dans quelques mois, à Heiligenstadt, son ami médecin Franz Gerhard Wegeler et son épouse Eleonore, la petite Eleonore von Breuning de son adolescence, à qui il souhaitait dédier cette œuvre si tant est qu'elle puisse enfin voir le jour.

La journée s'écoula plus lente que les eaux grises du Danube, dans ce coton dont Novembre feutrait logis et ruelles. La plume de Monsieur de Beethoven n'avait rien ajouté à la partition commencée à l'automne. En revanche, une longue lettre à son amour impossible avait rejoint d'autres lettres aussi passionnées qui, jamais, ne quitteraient le tiroir gauche du secrétaire d'acajou, cadeau du  Prince Electeur, Maximilian Franz, l'année de ses quatorze ans.

Epuisé par l'indolence quasi léthargique de ce morne après-midi, le musicien se coucha tôt. Dût-il à ses pensées amoureuses refoulées par sa raison, le flamboyant rêve qui s'empara de son esprit ? Peu importe, ce rêve d'un romantisme échevelé l'emmena dans les prairies de Weinbergstadt. Le soleil brillait et inondait la  chevelure d'Eleonore qu'il tenait par la main. Tous les deux s'arrêtèrent au bord d'un ruisseau. Il entendait, oui, il entendait très distinctement le bruit de l'eau ricochant sur les  cailloux, le pépiement impatient des oiseaux étourdis, le rire cristallin de la belle. Son cœur était dangereusement heureux. Peu à peu, les bruits s'estompèrent jusqu'au silence, jusqu'à ce que tous ces bruits redémarrent comme guidés par le meilleur des Maîtres de Chapelle. C'était la musique qui, cette fois, venait à lui.

Deux fois, puis une troisième fois inachevée, il entendit les notes comme si ses propres doigts les avaient enfantées.

Il se réveilla en sueur, le cœur battant. D'Eleonore point, pas plus de soleil non plus dans sa chambre froide. Mais la mélodie lui était restée à l'esprit. D'un bond, il se leva, et travailla fiévreusement jusqu'au petit matin où, épuisé, il se glissa à nouveau dans les draps et s'endormit d'un sommeil de plomb.

Des coups impatients frappés à sa porte le réveillèrent en sursaut. Etourdi, la tête lourde, étonné de  voir le grand jour par la fenêtre, il alla ouvrir à une Nanni ébahie de voir Monsieur de Beethoven en chemise et hauts de chausse. Elle se contenta de lui dire "Je suis bien aise Monsieur que vous ne soyez point malade. Je m'inquiétais depuis quelques minutes". Comme à son habitude, il fit un signe de tête, voulant bien marquer qu'il avait entendu, et retourna dans son cabinet.

Lorsqu'il voulut se mettre à son travail, il ne se souvenait pas d'avoir autant avancé sur sa sonate, la relut, s'étonna de s'être tant inquiété pour un résultat qui, ma foi, au regard de ce matin qui s'annonçait moins gris, ne lui parut pas si mauvais que cela.

Je viens d'écouter les yeux clos, la sonate en la majeur. Peut-être, oui peut-être me suis-je endormie… peu importe, il me plaît d'imaginer que cette aventure vous soit vraiment arrivée, Monsieur de Beethoven.

                               

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10 novembre 2008

Escale

                                                                                  Escale            ancre            

Hans plissa les yeux. L'air enfumé du bistrot et les vapeurs de mauvais alcool sans doute. Il était assis là, depuis la fin de l'après-midi, au fond de la salle éclairée de fausses lampes-tempête. Chaque verre de bière avait laissé un rond brunâtre sur la nappe de papier. Il commanda un alcool blanc, sec, qui brûlerait peut-être son gosier indifférent.

       La barmaid avait vingt ans au plus. Une gosse aux yeux charbonneux, dont la bouche fardée ôterait tout remord à n'importe lequel d'entre eux. Elle l'avait fixé plusieurs fois déjà, de ce regard appuyé qui se traduisait de la même façon sur tous les continents. Le Valparaiso devait appareiller demain. C'était sa dernière nuit à Brest.

       Le vent s'engouffrait dans la salle chaque fois que la porte s'ouvrait, poussée par ces visiteurs du soir en quête d'un asile pour quelques instants, quelques heures, ou peut-être pour la vie.

       Une minable guirlande électrique sur la façade rappelait d'improbables fêtes et jetait sur les verre de lancinants reflets rouges et verts. Soudain, des éclats de voix plus forts que le brouhaha ambiant firent craindre, voire espérer, une vraie querelle. C'étaient les deux suédois du Valparaiso. Seule, la gosse derrière son bar eût un regard apeuré.

       En quelques secondes Hans fût debout. Il dominait d'une bonne tête la plupart des clients. Avec une puissance étonnante, il saisit l'un des deux marins par le col de la vareuse, et, l'étranglant à demi, le souleva à la hauteur de ses yeux. "Pas d'histoires ici !" tonna-t-il.

       Hans, au lieu de regagner sa place solitaire, sortit du troquet et se dirigea vers le port. Il aimait les nuits de pleine lune, comme celle-ci. Sa clarté illuminait la verrière de la halle aux poissons et animait les docks de silhouettes fantomatiques.

       Les échos d'un piano bastringue habitaient encore la nuit. Après avoir erré sur les quais, dégrisé par l'air frais qui venait du large, il revint, d'instinct, rue du Chat Ecorché. La guirlande venait juste de s'éteindre. Il vit la barmaid fermer la porte avec difficulté tout en jetant des regards furtifs autour d'elle.

       Il s'approcha d'elle. Le reconnaissant elle lui sourit et, cette fois, il lui trouva un regard presque enfantin qui, brusquement, lui rappela sa petite sœur Julia. Elle aussi devait avoir vingt ans maintenant. Que devenait-elle ? Y avait-il un homme pour veiller sur elle, la retenir loin des bistrots de marins ? La dernière fois qu'il l'avait rencontrée, elle allait à l'Université, et voulait enseigner, comme leur père. Mais la vie, Julia, la vie…

       La jeune barmaid descendit la rue, doucement. Il la suivit. Il savait déjà ce qu'il trouverait : une petite chambre dans un immeuble sinistre. Un ours râpé ou une poupée de pacotille sur un dessus de lit défraîchi. Elle lui proposerait un café, sachet de poudre récupéré l'après-midi, qu'il accepterait en guise d'entrée en matière.

       Lorsqu'elle commença à se dévêtir, il appuya le front à la fenêtre, regardant au dehors. Les premières lueurs de l'aube n'allaient pas tarder. Il se sentait fatigué, lourd d'alcool et d'une infinie tristesse

       Prenant soudain conscience du silence total qui l'enveloppait, il se retourna. La jeune femme s'était endormie d'épuisement ou, peut-être, du sommeil de celui qui, enfin, ne craint plus rien. Seules, les traces bleues de rimmel sur ses joues rappelaient son quotidien.

       Il n'éprouvait aucune déception, ne ressentait plus aucun désir.

       Il resta de longs moments à la contempler, osant à peine respirer. Et puis, tout devint clair dans son esprit. Il allait rentrer, vite. Il terminerait le voyage en se préparant à rester à terre, comme ceux qui sont à terre préparent dans tous les détails la croisière espérée. Son cœur avant sa raison l'avait décidé. Partir, fuir, n'était pas la meilleure façon d'oublier. Il venait enfin de le comprendre, alors que son passé venait de le rattraper. Il reprendrait son métier d'avant et s'occuperait de Julia. Elle viendrait les voir le dimanche, lui et Magda, si cette celle-ci l'attendait encore, malgré tout, avec le petit dont il avait des photos dans sa cabine. Sa route d'errance ramènerait au point de départ un homme nouveau.

       En partant, sans faire de bruit, il laissa sur la table tout l'argent qu'il avait sur lui, en regrettant celui dépensé l'après-midi. Il lui devait bien ça.

10 novembre 2008

Liré 2007

En 2007 : abricot – amour – bachi bouzouk – bijou – bizarre – chic – clown – mètre – passe-partout – valser, le poème «  Rêverie » m’a valu le troisième prix.

REVERIE

Sur une toile bise d’un bon mètre de haut

De mes pinceaux légers taquinant les couleurs

J’immortaliserai votre bouche abricot

Votre taille de guêpe et votre teint de fleur

J’ajouterai alors comme autant de présents

Des perles de lumière enserrant votre cou

Des bijoux sans compter, des rubis, des diamants

A en faire rêver les rois et les voyous

J’y mettrai en retrait un autre personnage,

Pauvre clown amoureux n’ayant d’yeux que pour vous

Un prétendant bizarre, un idiot de village

Se faisant tout petit ayant si peu d’atouts

Comme un bachi-bouzouk qui regarde éperdu

De loin son ottomane adorée, son amour,

Prisonnière de son rang, ou bien de sa vertu,

valser au bras d’un autre à la tombée du jour.

Je me ferai discret, passe-partout sur la toile

Auprès de vous, si chic, et pour l’éternité

Le maraud, le manant, mais les yeux pleins d’étoiles

J’oublierai que mon cœur fut à jamais brisé

10 novembre 2008

Liré 2003


En 2003 : dimanche – vol – campagne – exercer – bleu – rude – chiendent – instant – courir – mille. Malgré un texte présenté en prose, celui-ci m’a valu le premier prix ! J’avais utilisé en titre une phrase que j’avais déjà dans le  petit « coffre de mes mots » et que je tenais absolument à « placer » - Opération toujours un peu risquée mais qui s’est avérée profitable !

Le petit orpailleur des mots.

Je suis le petit orpailleur des mots et je cherche mes pépites au ruisseau de l'alphabet. Le dimanche, je me lève tôt et vais courir la campagne, chasseur de verbes, traqueur de substantifs rares, tombeur d'adjectifs.

Je rapporte chaque fois mille mots dans ma besace. Des mots en bulles de savon, légers comme un vol d'hirondelles : fabule, funambule, tintinnabule, ou libellule. Je les ramène au crépuscule, en noctambule… ou somnambule. Certains, hélas ! s'envolent pour longtemps. Ils ont des ailes, sont immortels, intemporels et infidèles, et se défilent à tire-d'aile. D'autres laissent derrière eux un sillage de violette comme traîne de dentelle, danse et cadence, fragrance ou partance. Quelques-uns, tenaces comme chiendent, s'accrochent à ma mémoire et refusent de s'en déloger : désespérance, ce doux traître, revient quand je le chasse, blessure me guette au coin du cœur, et nostalgie s'habille de poésie pour cacher sa grisaille.

Bon, vous l'avez compris, les lettres chez moi font la pluie et le beau temps.

La semaine, hélas, est  une rude traversée ! Chaque matin, je vais au bureau, exercer quelque talent d'employé en alignant toute la journée des chiffres pour la comptabilité. Alors parfois, oh juste un instant seulement, je regarde le ciel bleu par la fenêtre et je rêve à tous mes mots qui m'attendent bien au chaud.

10 novembre 2008

Nuits blanches sur Harlem

NUITS BLANCHES SUR HARLEM

                  

NUITS BLANCHES SUR HARLEM

                  A mon avis, Jack va passer une nuit blanche. Quand je pense à toutes celles qu'on a connues ensemble, les larmes me viennent encore aux yeux.

            

              Depuis une semaine, je quitte pas ma chambre. Je bois et je jette les canettes vides par la fenêtre. Au début, les odeurs de poulet frit et de maïs grillé me donnaient faim. Puis elles m'ont écoeuré. Ma'Janet a enfin arrêté de gueuler et de taper sur ma porte. Si elle la casse, faudra payer pour la refaire, surtout que Jim peut plus bricoler depuis qu'il a été renversé par une voiture Williamsbridgeroad. Maintenant c'est bien, je me sens flotter, on me fiche la paix. Ce serait super s'il y avait pas le problème avec Jack.

         

              Quand on était mômes, on pouvait pas se sentir tous les deux. Jack, lui, il était fort, et intelligent en plus. Moi aussi j'étais fort, mais j'étais plus jeune et pas trop malin. Ma'Janet disait que c'était pas d'ma faute Jack et moi, on se tabassait souvent, derrière les poubelles du Splendid Food ou dans un terrain vague près d'Harlem Road. Un soir, tout a changé. Il avait vraiment le dessus. J'étouffais. Mais j'ai pas baissé les yeux. D'un seul coup, on a éclaté de rire, à se tordre. Quand on s'est calmé, il m'a dit "Maintenant, t'es mon frère ! Birdy !". Après, on a passé la nuit ensemble à se balader.

         

              Quand Jack a eu 16 ans et qu'il a trouvé du travail dans une pizzeria, il m'a emmené avec lui. Je faisais des livraisons dans le quartier. Comme on réclamait rien de plus, qu'on n'avait pas la tête à faire des histoires, le patron a fermé les yeux. On en a passé des nuits blanches à bosser, à boire, à rire, à draguer les filles ! Jack avait plus de chance que moi, il savait leur parler. Et quand une d'elles s'accrochait trop et qu'il en avait assez, je me pointais au rancart à sa place et j'inventais des histoires. Si la fille était triste, je la consolais et quelquefois elle se laissait embrasser. Après, je racontais tout à Jack. Il rigolait et il disait "Tu vois bien, Birdy, toi aussi tu leur plais !". Mais quand il a rencontré Jenny, là j'ai compris tout de suite que ce serait différent.

              Jenny, elle était belle comme Marilyn, sauf qu'elle avait pas d'aussi belles robes et qu'elle boitait un peu. Mais quand elle était là, assise avec nous sur les bidons derrière Kingsbridge, avec sa peau presque blanche et des yeux comme on peut pas imaginer, on oubliait son problème. Un soir, sa mère l'avait laissée chez une voisine pour aller à un concert des Stars Twix quand elle avait deux ans et commençait juste à marcher. Elle était tombée dans l'escalier, c'est pour ça qu'elle boitait.

         

              Elle avait jamais dit exactement où elle habitait : elle voulait pas que son père la voit avec des gars du Bronx ou de Harlem, même s'ils étaient bien élevés comme nous qu'elle disait. Elle venait nous retrouver quand ça lui chantait, et nous on était toujours contents. Ces soirs-là, elle racontait à ses parents qu'elle allait aux cours de dactylo des Prayers Chains et que ça coûtait rien. Comme ça, plus tard, elle travaillerait dans un bureau, elle achèterait des robes à sa mère et elle se ferait même opérer la jambe dans un hôpital.

         

              Tout le reste, ç'aurait pas dû arriver ! C'était exactement le dimanche 24 mai, y a 5 ans, la seule date que j'ai jamais oubliée. Le ciel était drôlement bleu. On se sentait tout léger, Jack et moi. On riait pour rien, comme des fous. On se disait que, peut-être, on irait un jour dans un restaurant à Manhattan, où on mange avec des fourchettes en argent tous les jours, et qu'on serait sapés comme Humphrey Bogart dans African Queen. C'est Jenny qui avait vu le film. Nous, on avait seulement vu des photos dans des magazines de cinéma que la tante d'un copain gardait depuis au moins trente ans. Moi je rêvais de m'acheter un vrai jean, avec la marque sur la poche, que j'aurais porté avec une ceinture de cuir. Mais Jack rigolait "Si tu veux réussir, Birdy, faut avoir plus d'ambitions !". Alors on s'était juré de devenir élégants et riches nous aussi, pour impressionner Jenny. Je dis nous parce que je faisais tout comme Jack et qu'ils m'emmenaient souvent avec eux.

            

              Donc, ce jour-là on avait rendez-vous. Pourtant, ils s'étaient encore disputés dans la semaine, mais Jack était pas rancunier et Jenny tenait quand même à lui. On avait mangé des glaces en se promenant dans Hudson River Park. C'est là qu'on avait vu venir vers nous deux types, "Des sales gueules !" que j'ai pensé tout de suite, pas ce qu'on rencontre le dimanche après-midi dans Hudson River Park, plutôt le genre défoncé, qu'on trouve affalé sur le parking du Tip Club après la fermeture. Nous, on fréquentait pas ce milieu.

          

              J'ai dit : "Les regardez pas ! faut passer vite !". Je suis peut être pas très malin, mais je devine ce que les gens ont dans la tête. Ils se sont arrêtés quand on s'est croisé, le plus grand a fixé Jenny d'un drôle d'air, et il a dit "Hey Jenny ! tu fréquentes du beau monde !". On a fait comme si on les voyait pas et, eux, ils ont continué leur chemin. Jack avait senti la main de Jenny qui tremblait dans la sienne. Il avait cru d'abord que c'était la frousse, alors il s'est énervé. "Tu le connais, ce voyou ?". Elle a juré que non, qu'il avait dit "Jenny" par hasard. Pourtant, il avait pas une tête à blaguer. Puis quand on a été loin, elle a voulu embrasser Jack mais c'était trop tard, il était fâché. J'ai pensé "Bon, ils recommencent, ça va gâcher la soirée". Je pouvais pas imaginer ce qui nous attendait. On est rentré par Railway Bakner. Ça s'est passé dans une petite rue où y avait presque personne. On entendait des télés par les fenêtres ouvertes. Jack et Jenny se disputaient toujours. Jack voulait qu'elle avoue, qu'elle lui dise qui c'était ce type. Et quand elle a lâché "Oui, je l'connais, c'est un cousin qu'a mal tourné" Jack a vu rouge. Jenny nous avait toujours dit qu'elle avait pas de famille sur New York, seulement au Mexique d'où était venue sa mère. On s'est regardé, Jack et moi. On a compris que c'était une menteuse et, qui sait, peut-être pire encore.

    

              La gifle est partie d'un seul coup. Jenny a perdu l'équilibre et elle est tombée. Une grosse femme à sa fenêtre a crié et des gens sont sortis. Jack leur a dit "C'est rien !", il a aidé Jenny à se relever, elle avait pas mal, mais on s'est quand même sauvé en courant. La nuit j'ai pas dormi, moi aussi j'étais en colère contre elle, même s'il m'arrivait de penser qu'un jour, à force de s'engueuler, peut-être que Jack la lâcherait et que je pourrais la consoler. J'avais un caractère plus facile que lui.

         

              Pendant la semaine, on n'a pas reparlé de Jenny. Jack avait l'air malheureux. Tous les matins, je passais d'abord chez lui et on allait bosser ensemble. Le vendredi matin, y avait une voiture de police devant son immeuble et plein de gens dans la rue qui discutaient fort. Comme j'étais pas en avance, j'ai pensé qu'il était peut-être déjà parti, alors j'ai couru. C'est là, quand le patron m'a vu arriver, qu'il m'a attiré dans le petit couloir où on range les poubelles, et qu'il m'a craché à la figure "T'oses revenir ? Et ton copain, l'assassin ? Tu crois que ça va être bon pour mes affaires, maintenant que tout le monde va le voir à la télé ?". Je suis parti en courant sans penser qu'il nous avait même pas payé. J'ai pas compris, mais aujourd'hui je peux vous expliquer.

      

              Jenny, ce fameux dimanche soir, elle était pas arrivée jusque chez elle. Une patrouille de nuit l'avait retrouvée étranglée dans un buisson. Le mari de la grosse femme, quand il a appris ça, il est allé raconter aux flics ce qui s'était passé dans sa rue. Je sais pas comment ils ont retrouvé Jack.

          

              J'ai jamais eu le droit d'aller le voir à la prison. Si j'avais pu leur parler aux juges, j'aurais dit exactement la vérité, et en plus qu'il l'aimait trop pour lui faire du mal, mais que s'il l'avait giflée, elle l'avait cherché, et aussi que ceux de la rue n'avaient rien vu donc rien à dire. Et surtout, j'aurais parlé du sale type qu'on avait croisé, avec son regard mauvais, son regard de jaloux que j'oublierai jamais. Mais voilà, on fait jamais attention à moi.

         

              Jack a été condamné à mort. Il paraît qu'on avait écrit dans les journaux "Une jeune femme handicapée sauvagement assassinée par un voyou". C'est vrai que ça peut être qu'un voyou celui qu'a fait ça, mais c'est pas Jack en tout cas ! En plus, handicapée, Jenny ? Faut pas exagérer ! Elle boitait juste un peu.

         

              J'ai plus entendu parler de cette histoire pendant longtemps.

      

              Finalement, la semaine dernière, ils ont décidé que ce serait le 27 septembre. Aujourd'hui on est le 26. Sûr que Jack va encore passer une nuit blanche.

10 novembre 2008

Vengeance en blanc

-                Mademoiselle Angélique Bretilloux, consentez-vous à prendre pour époux Monsieur Marc Châtel ici présent ?

-                Non

L’officier d’état-civil se dit que la donzelle avait une voix bien faible …ou alors son audition avait encore baissé. Il devrait consulter, voilà six mois que sa femme le lui répétait.

Il se gratta la gorge et reprit :

-                Excusez-moi. Mademoiselle Angélique Bretilloux, consentez-vous à prendre pour époux Monsieur Marc Châtel ici présent ?

-                Non

Là c’était clair. Il avait des hallucinations. Revenant à ce qu’il faisait vraiment, car il était depuis le matin contrarié par une panne de voiture qui absorbait toutes ces pensées, il vit l’air décomposé du marié, incrédule des témoins, horrifié des deux belles-mères Quoique… les yeux de Madame Bretilloux ne lançaient pas vraiment les flammes de l’enfer en direction de sa fille unique.

Alors dans un grand élan de générosité, la jeunesse aime bien blaguer et parfois dépasse un peu les bornes, il toussota, et déclara presque à mi-voix :

-                Voyons Mademoiselle Bretilloux, si vous êtes ici, tout de même, c’est bien pour vous marier. J’ai un peu de mal à comprendre ce qui se passe. Auriez-vous l’amabilité de… m’écrire votre réponse, là sur cette feuille blanche.

Il avait bien conscience de l’incongruité de la procédure mais se sentait tellement désemparé !

La jeune fille prit le stylo, s’appliqua à tracer en lettres majuscules les trois lettres de son non-consentement.

Le représentant de l’état, muet de stupéfaction (mais ça ferait enfin une anecdote intéressante à raconter aux amis, sa femme lui reprochait toujours de n’avoir rien à dire !) brandit la feuille face à l’assemblée, dénoua son écharpe tricolore, et, saluant aussi dignement qu’il le put une assemblée animée et excitée autour de la jeune fille placide et souriante, il quitta la pièce sur un signe de tête.

Quelques années auparavant, Angélique Bretilloux était rentrée d’une soirée étudiante les yeux brillants et les lèvres un peu trop rouges d’avoir été longuement et passionnément embrassées.

Pendant plusieurs mois, elle rencontra en cachette Mario da Portera, un jeune portugais venu faire dans sa ville des études de droit. Il l’avait non seulement initiés à des émotions et des plaisirs encore inconnus pour elle, mais encore à des notions de philosophie et de sociologie bien éloignées des discours sur la société qui animaient, à la table dominicale, son père et ses oncles déjà échauffés par quelques verres d’un bon Bordeaux.

La fin de l’année scolaire approchait. Mario lui avait proposé de le suivre à Lisbonne où il avait déjà une place de stagiaire dans un cabinet d’avocats, avant de s’installer lui-même.

Il fallait bien aviser ses parents… Monsieur Albert Bretilloux, négociant en vins, bien connu sur la place de Bordeaux, ne se donna même pas la peine de tempêter, mais d’annoncer d’une voix doucereuse :

-                Mon Dieu qu’irais-tu faire là-bas loin de ta famille ? Est-ce que tu t’imagines, obligée de travailler pour faire vivre un stagiaire dont l’avenir est plus qu’incertain ? Est-ce que tu t’imagines au milieu de gens ne parlant pas la même langue que toi ? Est-ce que tu réalises bien que ces gens-là n’ont pas du tout la même culture que nous ? Que tu viens d’une vieille famille bordelaise, que tu es née et que tu as grandi dans cette propriété dont, tu me l’as dit toi-même, tu ne pourrais jamais t’éloigner ? Et que deviendrait ta mère ?

Une telle avalanche d’arguments, assénés en bloc, la perturba, la déstabilisa. Elle annonça à Mario qu’il devait d’abord assurer sa situation et que, sans doute, elle le rejoindrait ensuite, mais que pour l’instant elle avait, tout au moins financièrement, besoin de ses parents dont elle était l’unique héritière. Eh oui, elle avait pris l’habitude de parler en ses termes. Chez les Bretilloux, on n’avait pas d’enfants, on avait des héritiers.

Après plusieurs mois d’absence, les lettres de Mario s’espacèrent. Il était tellement pris par son travail, bien qu’il l’assurât qu’elle occupait toutes ses pensées. Elle en était toujours amoureuse, pensait-elle, mais vraiment, il exagérait. Heureusement, tiens, qu’elle ne l’avait pas suivi !

Une année plus tard, les Bretilloux invitèrent les Châtel pour le réveillon.  Angélique s’en étonna bien un peu. André Châtel était le plus gros concurrent de son père. Depuis quelques temps c’est vrai, elle n’entendait plus parler de lui en termes rancuniers, mais plutôt élogieux. « André Châtel gère de mieux en mieux son affaire. Vraiment, il laissera une belle entreprise à ses fils ».

C’est ainsi qu’elle connût Marc. Ils flirtèrent quelques temps, pour passer le temps. Elle rentrait tard sans essuyer le moindre reproche. Son père approuvait sans retenue une idylle qui le comblait. Très vite on parla mariage.

Angélique ne se sentait pas vraiment enthousiaste. Bien sûr, Marc était agréable, mais tout de même, légèrement ennuyeux. Il voulait tout ce qu’elle voulait, approuvait tout ce qu’elle disait, parlait mollement de leur avenir qui était déjà tout tracé. La suite de l’affaire pour lui, le déménagement d’une propriété à une autre distante d’une vingtaine de kilomètres pour elle, sans contraintes particulières sinon celles de tenir honorablement une maison de renom. On était loin des discussions passionnées qu’elle avait connues avec Mario, des projets fous, de l’étourdissement dans lequel la passion la plongeait. Mais Mario n’écrivait plus depuis longtemps…

C’est la semaine précédant le mariage que le remplaçant du facteur lui remit le courrier du jour, alors qu’elle ouvrait le portail de la propriété pour sortir sa voiture. Elle prit le paquet de lettres et remonta l’allée pour le poser sur la console du vestibule. C’est alors qu’une enveloppe au timbre coloré attira son attention. Elle était à son nom. Le cœur battant elle reconnut l’écriture de Mario.

« … pourquoi n’as-tu jamais répondu à mes lettres ? Je n’ai cessé de penser à toi… je voulais seulement te dire que depuis quelques semaines, j’étais installé dans des bureaux tout neufs et la plaque de cuivre dans le hall porte mon nom. J’ai déjà des dossiers intéressants. J’ai tout, sauf toi »

Alors elle comprit. Tout. Aucune lettre de Mario ne lui avait été remise depuis longtemps. Elle réalisa que, pendant longtemps, c’était toujours son père qui avait relevé le courrier dans la boîte et remis à chacun ce qui lui était adressé.

Elle envoya aussitôt un télégramme à Mario. Une adresse d’avocat, heureusement, ça se retrouve facilement.

« Quelques formalités à régler. J’arrive dans deux semaines, pas plus. T’expliquerai. Je t’aime ».

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Les mots d'Hélène
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