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Les mots d'Hélène
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10 novembre 2008

Vengeance en blanc

-                Mademoiselle Angélique Bretilloux, consentez-vous à prendre pour époux Monsieur Marc Châtel ici présent ?

-                Non

L’officier d’état-civil se dit que la donzelle avait une voix bien faible …ou alors son audition avait encore baissé. Il devrait consulter, voilà six mois que sa femme le lui répétait.

Il se gratta la gorge et reprit :

-                Excusez-moi. Mademoiselle Angélique Bretilloux, consentez-vous à prendre pour époux Monsieur Marc Châtel ici présent ?

-                Non

Là c’était clair. Il avait des hallucinations. Revenant à ce qu’il faisait vraiment, car il était depuis le matin contrarié par une panne de voiture qui absorbait toutes ces pensées, il vit l’air décomposé du marié, incrédule des témoins, horrifié des deux belles-mères Quoique… les yeux de Madame Bretilloux ne lançaient pas vraiment les flammes de l’enfer en direction de sa fille unique.

Alors dans un grand élan de générosité, la jeunesse aime bien blaguer et parfois dépasse un peu les bornes, il toussota, et déclara presque à mi-voix :

-                Voyons Mademoiselle Bretilloux, si vous êtes ici, tout de même, c’est bien pour vous marier. J’ai un peu de mal à comprendre ce qui se passe. Auriez-vous l’amabilité de… m’écrire votre réponse, là sur cette feuille blanche.

Il avait bien conscience de l’incongruité de la procédure mais se sentait tellement désemparé !

La jeune fille prit le stylo, s’appliqua à tracer en lettres majuscules les trois lettres de son non-consentement.

Le représentant de l’état, muet de stupéfaction (mais ça ferait enfin une anecdote intéressante à raconter aux amis, sa femme lui reprochait toujours de n’avoir rien à dire !) brandit la feuille face à l’assemblée, dénoua son écharpe tricolore, et, saluant aussi dignement qu’il le put une assemblée animée et excitée autour de la jeune fille placide et souriante, il quitta la pièce sur un signe de tête.

Quelques années auparavant, Angélique Bretilloux était rentrée d’une soirée étudiante les yeux brillants et les lèvres un peu trop rouges d’avoir été longuement et passionnément embrassées.

Pendant plusieurs mois, elle rencontra en cachette Mario da Portera, un jeune portugais venu faire dans sa ville des études de droit. Il l’avait non seulement initiés à des émotions et des plaisirs encore inconnus pour elle, mais encore à des notions de philosophie et de sociologie bien éloignées des discours sur la société qui animaient, à la table dominicale, son père et ses oncles déjà échauffés par quelques verres d’un bon Bordeaux.

La fin de l’année scolaire approchait. Mario lui avait proposé de le suivre à Lisbonne où il avait déjà une place de stagiaire dans un cabinet d’avocats, avant de s’installer lui-même.

Il fallait bien aviser ses parents… Monsieur Albert Bretilloux, négociant en vins, bien connu sur la place de Bordeaux, ne se donna même pas la peine de tempêter, mais d’annoncer d’une voix doucereuse :

-                Mon Dieu qu’irais-tu faire là-bas loin de ta famille ? Est-ce que tu t’imagines, obligée de travailler pour faire vivre un stagiaire dont l’avenir est plus qu’incertain ? Est-ce que tu t’imagines au milieu de gens ne parlant pas la même langue que toi ? Est-ce que tu réalises bien que ces gens-là n’ont pas du tout la même culture que nous ? Que tu viens d’une vieille famille bordelaise, que tu es née et que tu as grandi dans cette propriété dont, tu me l’as dit toi-même, tu ne pourrais jamais t’éloigner ? Et que deviendrait ta mère ?

Une telle avalanche d’arguments, assénés en bloc, la perturba, la déstabilisa. Elle annonça à Mario qu’il devait d’abord assurer sa situation et que, sans doute, elle le rejoindrait ensuite, mais que pour l’instant elle avait, tout au moins financièrement, besoin de ses parents dont elle était l’unique héritière. Eh oui, elle avait pris l’habitude de parler en ses termes. Chez les Bretilloux, on n’avait pas d’enfants, on avait des héritiers.

Après plusieurs mois d’absence, les lettres de Mario s’espacèrent. Il était tellement pris par son travail, bien qu’il l’assurât qu’elle occupait toutes ses pensées. Elle en était toujours amoureuse, pensait-elle, mais vraiment, il exagérait. Heureusement, tiens, qu’elle ne l’avait pas suivi !

Une année plus tard, les Bretilloux invitèrent les Châtel pour le réveillon.  Angélique s’en étonna bien un peu. André Châtel était le plus gros concurrent de son père. Depuis quelques temps c’est vrai, elle n’entendait plus parler de lui en termes rancuniers, mais plutôt élogieux. « André Châtel gère de mieux en mieux son affaire. Vraiment, il laissera une belle entreprise à ses fils ».

C’est ainsi qu’elle connût Marc. Ils flirtèrent quelques temps, pour passer le temps. Elle rentrait tard sans essuyer le moindre reproche. Son père approuvait sans retenue une idylle qui le comblait. Très vite on parla mariage.

Angélique ne se sentait pas vraiment enthousiaste. Bien sûr, Marc était agréable, mais tout de même, légèrement ennuyeux. Il voulait tout ce qu’elle voulait, approuvait tout ce qu’elle disait, parlait mollement de leur avenir qui était déjà tout tracé. La suite de l’affaire pour lui, le déménagement d’une propriété à une autre distante d’une vingtaine de kilomètres pour elle, sans contraintes particulières sinon celles de tenir honorablement une maison de renom. On était loin des discussions passionnées qu’elle avait connues avec Mario, des projets fous, de l’étourdissement dans lequel la passion la plongeait. Mais Mario n’écrivait plus depuis longtemps…

C’est la semaine précédant le mariage que le remplaçant du facteur lui remit le courrier du jour, alors qu’elle ouvrait le portail de la propriété pour sortir sa voiture. Elle prit le paquet de lettres et remonta l’allée pour le poser sur la console du vestibule. C’est alors qu’une enveloppe au timbre coloré attira son attention. Elle était à son nom. Le cœur battant elle reconnut l’écriture de Mario.

« … pourquoi n’as-tu jamais répondu à mes lettres ? Je n’ai cessé de penser à toi… je voulais seulement te dire que depuis quelques semaines, j’étais installé dans des bureaux tout neufs et la plaque de cuivre dans le hall porte mon nom. J’ai déjà des dossiers intéressants. J’ai tout, sauf toi »

Alors elle comprit. Tout. Aucune lettre de Mario ne lui avait été remise depuis longtemps. Elle réalisa que, pendant longtemps, c’était toujours son père qui avait relevé le courrier dans la boîte et remis à chacun ce qui lui était adressé.

Elle envoya aussitôt un télégramme à Mario. Une adresse d’avocat, heureusement, ça se retrouve facilement.

« Quelques formalités à régler. J’arrive dans deux semaines, pas plus. T’expliquerai. Je t’aime ».

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